Schumann FR Diapason

MAR-2010

Diapason: CD Robert Schumann (1838-1839)

 

 

 

 

 

Bien différente de celle de Chopin ou de Liszt, la musique de Schumann sonne de façon moins transparente que celle du premier, et cherche moins à 'déployer' les différents registres du piano que chez le second. Sa polyphonie est moins aérée, plus sombre. Sa rythmique peut même devenir obsédante (dans le meilleur des cas) ou tétanisée (dans le pire), au point de laisser l'interprète un peu coi et l'auditeur un peu las. Les intimidantes Novelettes en savent quelque chose. Les gravures de cet opus ambitieux sont rares, et plus rares encore les pianistes qui le jouent en public dans son intégralité: un monument de cinquante minutes culminant l'ultime huitième sommet de ce cycle ardu.

Sur un pianoforte de Johann Baptist Streicher (Vienne, 1850), Piet Kuijken en donne une lecture éclairante. L'instrument est coloré, aéré, facile, et permet d'alléger les touffeurs et la polyphonie parfois très serrée dans le médium. L'interprète renvoie cette musique à sa dimension paradoxalement domestique, si l'on considère l'ampleur du recueil. Si Piet Kuijken ne manque pas d'autorité (celle qui permet de prendre possession d'une salle), s'il est capable de sortir la tête haute des bariolages paganiniens de la deuxième pièce du cahier, il ne perd jamais de vue que le discours schumannien est toujours de l'ordre du dialogue intime, presque amoureux.

Dans les Scènes d'enfants, partition beaucoup moins problématique, le fils de Wieland Kuijken trouve d'emblée le ton juste et la simplicité d'élocution est la pierre angulaire de cette musique émerveillée; reste que les pièces ne s'enchaînent peut-être pas, de façon aussi irrésistible que nécessaire, comme s'il les avait enregistrées une à une sans le faire oublier. L'Humoresque, dont les caractères plus tourmentés sautent facilement du cocq à l'âne, est ici coulée dans un seul geste instrumental et dans une pensée musicale dominée par l'Humor du compositeur. Les lignes sont nettes, les couleurs changeantes comme un ciel de marine, les masses mouvantes autour d'un pivot dont la fixité obsède. Ce panorama de la production de Schumann en 1838 et 1839 comprend aussi l'Arabesque, petit joyau de chant éperdu, et les Romances, fondantes de tendresse. Les mystérieux et insaisissables Nachtstücke ont grâce au pianoforte (et au musicien...) une sorte de halo qui en accroît le caractère nocturne et hypnotique.

 

Alain Lompech

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